En justice, il n’est jamais suffisant d’affirmer que l’on a raison ou que son adversaire n’a pas respecté ses engagements. Encore faut-il en apporter la preuve, ainsi que l'indique la loi et notamment l’article 9 du Code de procédure civile, ainsi que l’article 1353 du Code civil. En principe, la preuve peut être rapportée par tous moyens, sauf lorsque la loi exige une preuve écrite. La liberté de la preuve n’est cependant pas absolue, car elle saurait être rapportée par fraude. Lorsqu’il s’agit de prouver une infraction pénale (une contravention, un délit ou un crime), la liberté est plus grande encore, comme nous le verrons dans un prochain article.
La preuve écrite ou numérique peut être obligatoire :
L’article 1359 du Code civil instaure l’obligation d’un écrit au-delà d’un certain montant (fixé à 1500 euros par décret). Ainsi, à l’exception des actes entre commerçants, un créancier ne pourra se prévaloir d’une créance supérieure à 1500 euros, si elle ne résulte pas d’un écrit signé des parties ou du débiteur (par exemple une reconnaissance de dette). Il convient toutefois de nuancer cette exigence. En effet, la loi (notamment les articles 1360 à 1362 du Code civil) admet qu’il puisse exister des circonstances où la preuve écrite formelle ne peut être rapportée. L’on pourra alors se contenter d’un « commencement de preuve par écrit », notamment dans un contexte familial ou au regard d’usages professionnels. L’article 1365 du Code civil dispose que la preuve écrite peut elle-même prendre différentes formes et avoir des supports de toutes natures. Il est vrai que la Cour de cassation avait admis qu’un testament puisse être rédigé sur la paroi d’un réfrigérateur ! Plus précisément, l’article 1366 du Code civil assimile l’écrit électronique au support papier.
Certes, l’article 1367 du Code civil dispose que la signature, qu’elle soit manuscrite ou électronique (par le biais d’un certificat numérique) est un moyen d’identifier celui qui l’appose et manifeste son consentement à l’acte signé et à ses conséquences. Mais hors situation où la signature est une obligation légale, le juge peut valider un acte non signé dès lors que l’intention des parties est démontrée. Du reste, certains documents, comme des factures, n’ont pas à être signés.
Notons que certains actes lorsqu’une seule personne s’engage unilatéralement et sous seing privé à payer une autre ou à lui remettre un bien, elle doit respecter le formalisme visé à l’article 1376 du Code civil, faute de quoi l’acte pourrait être contesté (signature et montant en chiffres et en lettres). Une reconnaissance de dette est l’application la plus usuelle du formalisme de l’article 1376. Inversement, une procuration, une autorisation, un pouvoir, une quittance n’y sont pas soumis, car ces documents ne comportent aucune promesse de payer ou de livrer.
Contestations de la preuve :
En matière civile, la liberté de la preuve est encadrée : on ne peut enregistrer ou filmer quelqu’un à son insu, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 octobre 2004 : « l’enregistrement d’une conservation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue ».
De même un conjoint ne peut fouiller les affaires personnelles de l’autre pour établir la faute conjugale (article 259-1 du Code civil). En pratique, cette affirmation doit être nuancée par le fait que celui qui conteste la preuve doit à son tour prouver qu’elle n’est pas licite ! En matière de divorce, cela signifie que si Madame affirme avoir trouvé par hasard des photos compromettantes dans le smartphone de son mari, il appartiendra audit mari de prouver que sa femme a fouillé ses affaires et dans son smartphone. C’est exactement l’affaire qui fut portée devant la Cour de cassation pour faire l'objet d'un arrêt le 17 juin 2009.
Toute preuve, à priori recevable, est contestable : une photo peut être retouchée (mais une expertise permet de le démontrer), un témoin peut mentir (mais il s’exposerait à des sanctions pénales). Lorsqu’il s’agit de constater un fait, le recours à l’huissier peut être préféré, ce qui a un coût de plusieurs centaines d’euros, mais fait (presque toujours) obstacle à une contestation.
Si, comme nous l’avons vu, un e-mail est une preuve, comme l’est d’ailleurs une télécopie ou un télex, il peut donner lieu à contestation dans la mesure où les télécommunications peuvent être piratées. Mais en pratique, les messages électroniques de toutes natures (SMS, emails, conversations sur réseaux sociaux…) sont fréquemment produits en justice, parfois sous forme de constat d’huissier (ce qui peut éviter de laisser son smartphone au juge !).
Enfin, la loi organise parfois un partage, voire une quasi inversion de la charge de la preuve, dans la mesure où celle-ci est très difficile à rapporter. Il s’agit notamment de la discrimination, du harcèlement moral et du harcèlement sexuel, comme cela a été vu dans un article qui lui a été consacré (publié par Opinion Internationale).
Raymond Taube
Formation & Conseil