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Les nouveaux pouvoirs du juge aux affaires familiales (JAF)

La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice entre en vigueur progressivement, au grand dam de nombreux professionnels qui y dénoncent notamment la déshumanisation de l’institution judiciaire (voir l’interview vidéo du Bâtonnier de Paris pour le compte d’Opinion Internationale). La loi bouleverse de nombreuses procédures en privilégiant, il est vrai, la justice sur dossier au détriment des audiences, y compris aux affaires familiales. Ainsi, lorsqu’entrera en vigueur la réforme du divorce (au plus tard le 1er septembre 2020), l’audience deviendra facultative.

La loi a doté le juge aux affaires familiales de nouveaux pouvoirs, en vigueur depuis le 25 mars 2019, principalement aux fins de permettre l’exécution de ses propres décisions ou de celles prises par un autre JAF. Les pensions alimentaires feront l’objet de dispositions particulières faisant intervenir la CAF à partir de juin 2020. Les quatre mesures présentées ci-dessous s’appliquent aux modalités d’exercice de l’autorité parentale, en particulier la résidence de l’enfant et le droit de visite et d’hébergement.

  1. La médiation (article 373-2-10 du Code civil).

C’est la seule des quatre mesures qui ne soit coercitive. Elle s’inscrit dans la volonté globale des pouvoirs publics de favoriser les modes alternatifs de règlement des conflits. La seule nouveauté qu’apporte pour le moment l’article 373-2-10 du Code civil réside dans la possibilité de proposer une médiation (ou d’enjoindre de rencontrer un médiateur) tout en statuant sur l’autorité parentale, et non pas seulement avant de rendre une décision. L’objectif est de tenter de renouer les relations entre les parents et d’apaiser les tensions. L’an prochain, la médiation deviendra même le préalable obligatoire à une demande de modification d’une décision initiale du JAF.

Nous avions réalisé un petit film résumant en quelques minutes une séance de médiation fictive, sous la direction d’une médiatrice, une autre médiatrice interprétant par ailleurs son propre rôle. Ce film est toujours diffusé lors de certaines de nos formations en droit de la famille. Vous pouvez le visionner ici : https://youtu.be/A1XQ79f5YBM

  1. L’astreinte (article 373-2-6 du Code civil)

L’astreinte est un excellent moyen de faire respecter une obligatoire de faire (faire des travaux, remettre un document…). Par exemple, un locataire qui se plaint du refus du bailleur de faire des travaux qui lui incombe peut demander au juge de le condamner à les faire avant une date donnée, sous peine d’une astreinte de 300 € (par exemple) par jour de retard.

En matière d’autorité parentale, l’astreinte peut faire comprendre au parent chez lequel l’enfant réside que s’il refuse à l’autre d’exercer son droit d’hébergement, cela lui coutera cher. Il en va de même du parent qui « hésiterait » à ramener l’enfant à l’issue de l’exercice de ce droit. Cela n’empêche pas un parent déterminé de quitter la France avec l’enfant, mais dans la plupart des cas, l’argument financier s’avère fort efficace, surtout si le juge fixe l’astreinte dès qu’il statut sur l’autorité parentale, voire sans même qu’un des parents ne la lui demande, ce que permet désormais la loi. Cette dernière hypothèse peut être interprétée comme une marque de défiance à l’égard d’un ou des parents, comme d’une précaution « au cas où ». Le juge peut aussi fixer une astreinte pour une décision antérieurement prise par un autre JAF, même sur requête conjointe.

Avant le 25 mars 2019, rien n’interdisait formellement au JAF de fixer une astreinte, puisque l’article 373-2-6 disposait déjà (et dispose toujours) que « Le juge peut prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun de ses parents ». Désormais, le principe de l’astreinte est clairement posé et encouragé.

  1. L’amende civile (article 373-2-6 du Code civil)

Le dernier alinéa de l’article 373-2-6 du Code civil dispose désormais que « Il [le JAF] peut également, lorsqu'un parent fait délibérément obstacle de façon grave ou renouvelée à l'exécution d'une décision, d'une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d'un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d'un notaire ou d'une convention homologuée fixant les modalités d'exercice de l'autorité parentale, le condamner au paiement d'une amende civile d'un montant qui ne peut excéder 10 000 € ».

Cette disposition figurait déjà dans une proposition de loi déposée par le groupe socialiste, alors majoritaire à l’Assemblée nationale, proposition qui ne déboucha pas sur une loi. Elle est toujours très controversée, car elle conduit à un mélange des genres que tous les JAF, juges civils par excellence, n’apprécient guère. Fixer une amende, cela est surtout (mais pas exclusivement) du ressort du juge répressif. D’ailleurs, si un parent empêche l’autre d’exercer ses droits sur l’enfant (il faudrait plutôt dire « empêche l’enfant de voir son autre parent ou d’y retourner »), il peut s’en suivre une plainte ou une citation directe devant le tribunal correctionnel, avec à la clé une peine d’amende, voire d’emprisonnement (généralement avec sursis). Si un parent saisit le JAF, ce n’est pas pour faire exécuter une décision, mais pour modifier une décision précédente en raison de la survenance d’un élément nouveau. Désormais, le parent pourra également saisir le JAF, éventuellement en référé (donc rapidement) pour qu’il condamne l’autre parent à une amende si son comportement était « grave et renouvelé ». Cette nouvelle attribution du JAF devrait rester d’application assez marginale.

  1. Le concours de la force publique (article 373-2 du Code civil)

Le troisième alinéa de l’article 373-2 du Code civil permet désormais à un parent ou au JAF de solliciter du procureur de la République le concours de la force publique pour faire appliquer les décisions relatives aux enfants, même résultant d’une procédure par consentement mutuel. Il est précisé que la démarche sera exceptionnelle, car on n’imagine guère le père venir avec deux gendarmes ou policiers au domicile de la mère pour chercher les enfants dans le cadre de son droit de visite. Ce serait plutôt en sens inverse, si l’enfant n’est pas restitué à l’issue d’une période de visite et d’hébergement, que la disposition pourrait s’appliquer. Encore faut-il que le parquet soit réactif. Dans de petites communes en particulier, il n’est pas exclu de demander aux gendarmes d’accompagner le parent concerné, sans passer par le juge ou le procureur. Après tout, il s’agit d’exécuter une décision de justice, raison pour laquelle la démarche n’est pas infondée. Sauf que sans l’autorisation du procureur que vise la réforme, le gendarme se contenterait d’un accompagnement informel, faisant acte de présence et rappelant la loi.

Raymond Taube
Directeur de l’Institut de Droit Pratique

Formation en droit de la famille : www.idp-formation.com